Jean-Paul II aux jeunes du continent africain
Le 27 avril 2014 Jean-Paul II a été proclamé saint. Dix-neuf ans déjà sont passés depuis la mort de ce Pontife ; pourtant, son souvenir ne s’estompe pas dans le cœur de ceux qui ont vécu les merveilles de son pontificat.
Avec raison nous pouvons dire que le temps de grâce qui nous a été donné de vivre avec saint Jean-Paul II a représenté pour toute l’humanité un vrai kairós, temps-moment favorable offert en vue du choix fondamental de notre vie.
Ce kairós du pontificat de saint Jean-Paul II doit être lu dans l’union inséparable de l’enseignement et des événements, dans l’expérience vécue avec et en sa présence.
L’analyse philologique et théologique du terme nous rappelle que si le kairós est d’abord le temps des choix fondamentaux de la foi, pour ceux qui ont été réconciliés (cf. Rm 5, 11 ; 13, 11) il doit être aussi le temps pour vivre selon la foi. Le service d’autrefois des idoles doit laisser la place à l’actuel et véritable service de Dieu (cf. Ep 5, 8s ; Ga 4, 8s ; Rm 12, 1). La foi libère de l’esclavage du temps ; elle affranchit du poids du passé celui qui accueille le don du pardon. Cependant personne n’est affranchi de la responsabilité morale d’utiliser bien le temps qu’il a à sa disposition (Ga 6, 10 ; Col 4, 5) ; bien au contraire l’impératif “rachetez le temps” (Ep 5, 16) interpelle les croyants à se confronter avec le temps historique. La nouvelle vie de foi cependant n’est pas privée de tribulations. Le kairós houtos (Mc 10, 30 ; Lc 12, 56), ce temps-ci, et donc aussi le temps de l’Église, n’est pas une période de béatitude sans difficulté, mais un temps de lutte (cf. 1Co 9, 24ss ; Ep 6, 12 ; 1Tm 6, 11ss) et de souffrance (cf. Rm 8, 18), dans lequel les chrétiens sont appelés à se supporter réciproquement, pour ne pas céder (cf. He 3, 12s ; 1Tm 4, 1) au moment de la tentation (cf. Lc 8, 13)[1].
Cette union des écrits et des gestes a été bien soulignée par son successeur, et auparavant grand ami et collaborateur, Benoît XVI.
Le pape Benoît XVI écrit à ce propos : “Jean-Paul II, philosophe et théologien, grand pasteur de l’Église, a laissé une richesse d’écrits et de gestes qui expriment son désir de diffuser l’Évangile du Christ dans le monde, en utilisant les méthodes indiquées par le Concile Vatican II, et de tracer les lignes de développement de la vie de l’Église au cours du nouveau millénaire. Ces dons précieux ne peuvent pas être oubliés”[2].
Dans les moments de crainte et d’incertitudes, saint Jean-Paul II nous a appris à ne pas avoir peur.
Dans l’homélie prononcée à l’occasion du troisième anniversaire de la mort de son prédécesseur, Benoît XVI a souligné cet aspect de son long pontificat.
“‘Soyez sans crainte !’ (Mt 28, 5). Les paroles de l’ange de la résurrection, adressées aux femmes près du tombeau vide, que nous venons d’entendre, sont devenues une sorte de devise sur les lèvres du Pape Jean-Paul II, dès le début solennel de son ministère pétrinien. Il les a répétées plusieurs fois à l’Église et à l’humanité en marche vers l’an 2000, et ensuite à travers ce seuil historique et
encore au-delà, à l’aube du troisième millénaire. Il les a toujours prononcées avec une inflexible fermeté, tout d’abord en brandissant le bâton pastoral qui se terminait par la Croix et ensuite, lorsque ses forces physiques commencèrent à diminuer, en s’accrochant presque à celui-ci, jusqu’au dernier Vendredi Saint, au cours duquel il participa à la Via Crucis dans sa Chapelle privée en serrant la Croix entre ses bras. Nous ne pouvons pas oublier ce dernier témoignage silencieux d’amour pour Jésus. Cette scène éloquente de souffrance humaine et de foi, en ce dernier Vendredi Saint, indiquait aussi aux croyants et au monde le secret de toute la vie chrétienne. Son ‘Soyez sans crainte’ n’était pas fondé sur les forces humaines, ni sur les succès obtenus, mais uniquement sur la Parole de Dieu, sur la Croix et sur la Résurrection du Christ. À mesure qu’il était dépouillé de tout, et même à la fin de la parole, cet acte de confiance au Christ est apparu avec une évidence croissante. Comme ce fut le cas pour Jésus, pour Jean-Paul II aussi les paroles ont laissé place à la fin au sacrifice extrême, au don de soi. Et la mort a été le sceau d’une existence entièrement donnée au Christ, se conformant à Lui également physiquement sous les traits de la souffrance et de l’abandon confiant entre les bras du Père céleste. ‘Laissez-moi aller au Père’ furent ses dernières paroles – dont témoignèrent ceux qui furent proches de lui –, au terme d’une vie entièrement consacrée à connaître et à contempler le visage du Seigneur”[3].
Avec un grand amour envers saint Jean-Paul II, nous publions ce bref essai qui analyse ses discours aux jeunes, tenus au cours de ses visites en terre d’Afrique.
C’est un petit signe de dévotion filiale au cher Pape et aussi un acte de reconnaissance à cette terre africaine, car le nom de chaque Africain est gravé sur les paumes des mains du Christ[4].
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[1] Cf. H.-C. Hahn, Tempo, in Dizionario dei concetti biblici del Nuovo Testamento. A cura di L. Coenen - E. Beyreuther - H. Bietenhard, EDB, Bologna 1980, 1830.
[2] Benoît XVI, Discours à l’occasion du XV anniversaire de la Fondation Jean-Paul II (23 octobre 2006).
[3] Benoît XVI, Homélie au III anniversaire de la mort du Serviteur de Dieu Jean-Paul II (2 avril 2008).
[4] Cf. Jean-Paul II, Exhortation Apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, 143.
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Un des passages du discours adressé par Jean-Paul II aux jeunes du Rwanda, réunis au stade “Amahoro” de Kigali, peut être considéré comme une clef d’interprétation du Magistère du Pape en Afrique. L’amour y est défini comme “un dynamisme intérieur qui pousse à se donner et entraîne vers une communion des êtres. C’est de cette manière que Dieu aime dans sa vie trinitaire : chaque Personne divine est tout entière tournée vers l’autre et reçoit tout de l’autre dans une parfaite unité”[1].
Cette vision trinitaire d’une parfaite unité de Personnes différentes, dans laquelle chacune d’elles, en toute liberté, donne et reçoit pleinement tout, constitue la base théologique et la référence constante
des discours de Jean-Paul II en Afrique. L’appel adressé aux jeunes Africains par le Saint-Père n’est autre qu’une invitation à vivre, à travers leur vie quotidienne concrète, cet amour trinitaire qui seul rend l’homme heureux.
La jeunesse est un projet de bonheur
Parmi tous ces discours, un chapitre important est consacré au bonheur des hommes. Ce mot bonheur représente une seconde clef d’interprétation du Magistère de Jean-Paul II relatif aux jeunes d’Afrique.
Rencontrant les jeunes du Mozambique, il s’exprime en ces termes :
“Dans tous mes voyages pastoraux, les jeunes du monde méritent de ma part une attention particulière, bien que non exclusive, car je leur souhaite à eux aussi, et à eux surtout, d’être heureux ; je veux leur annoncer la vérité qui rend libre et introduit sur le chemin qui mène au bonheur, à la lumière, à cette Lumière destinée à éclairer tout l’homme (cf. Jn 1, 9). Le moment est venu pour vous de tracer un projet de votre bonheur, qui sera d’autant plus profond que l’effort requis aura été plus conséquent. La période de la jeunesse est très importante, précisément parce qu’elle constitue le moment de définir un projet de vie. Les décisions que vous prendrez, les engagements que vous assumerez et les valeurs auxquelles vous confierez votre existence, de même que les objectifs que vous vous fixerez, seront la forme de votre bonheur. Comme je désire que vous soyez heureux ! Voyez-vous, être jeune signifie une vie en fleur, pleine de promesses de bons fruits ; cela signifie l’espérance pour votre famille, pour votre nation, pour l’Église et pour le monde : pour un monde rendu meilleur par votre contribution généreuse et par votre bonheur personnel”[2].
Trois temps forts de cet important passage du discours prononcé dans la Cathédrale de Maputo doivent être mis en exergue :
-
La jeunesse est un temps privilégié pour tracer un projet de bonheur.
-
La réalisation de ce projet requiert une participation et un effort personnel.
-
Le bonheur personnel non seulement ne nuit pas, mais contribue à l’espérance de tout le corps social (famille, nation, Église, monde).
Le fait de croire en Dieu constitue pour Jean-Paul II le fondement du bonheur des hommes, comme on
peut le relever à partir des paroles de salutation adressées aux jeunes musulmans du Maroc :
“C’est tout simplement que je voudrais donner ici le témoignage de ce que je crois, de ce que je souhaite pour le bonheur de mes frères les hommes et de ce que, par expérience, j’estime être utile pour tous : croire en Dieu”[3].
La jeunesse est un temps privilégié pour définir un projet de bonheur ; de fait,
“la jeunesse est l’âge de l’espérance, de la promesse, de l’enthousiasme, des projets et des idéaux. La jeunesse ne se déclare pas vaincue face aux difficultés. La jeunesse refuse de se résigner aux défauts et aux carences du statu quo. La jeunesse croit en un monde meilleur et est décidée à collaborer concrètement à son avènement”[4].
Voilà pourquoi il revient aux jeunes de cerner les maux de la société et les maux qui affligent d’autres pays, de les observer et de les évaluer pour pouvoir agir ensuite conformément aux préceptes de l’Évangile[5].
La jeunesse est le temps des grandes questions existentielles : Qui suis-je ? Où vais-je ? Quelle route emprunter ? Quelle est la meilleure pour moi ?[6].
La jeunesse est aussi l’époque du discernement des talents que chacun a reçus du Seigneur et qu’il est appelé à faire fructifier pour collaborer avec Dieu à son vaste dessein d’amour sur le genre humain[7].
Mais surtout, la jeunesse est le temps de la préparation aux responsabilités à venir, un temps qui doit être consacré “à l’étude, à l’amour de la chasteté et à la solidarité en communauté”[8].
Le Pape insère le discours sur la chasteté dans l’honnêteté du langage sexuel. S’adressant aux nouvelles générations, au stade Nakivubo de Kampala (Ouganda), Jean-Paul II leur rappelle que
“lorsque Dieu nous a créés, il nous a donné plus d’une façon de parler entre nous. En plus de l’expression par les mots, nous nous exprimons aussi à travers nos corps. Les gestes sont les mots qui révèlent ce que nous sommes. Les actes sexuels sont comme les mots qui révèlent nos cœurs... Le Seigneur attend de nous que nous parlions en disant la vérité. L’honnête langage sexuel exige un engagement à la fidélité qui dure toute la vie. Donner votre corps à une autre personne signifie vous donner tout entier à cette personne. Cependant, si vous n’êtes pas mariés, vous admettez pouvoir changer d’avis à l’avenir. Le don total serait donc absent. Sans le lien du mariage, les rapports sexuels sont mensongers et, pour les chrétiens, le mariage signifie mariage sacramentel”[9].
Il est nécessaire, selon le Pape, de “prendre ses responsabilités dans l’amour”[10]. Pour lui, la fidélité
et la chasteté représentent aussi la manière la plus juste et la plus noble de lutter contre la propagation du Sida.
Cette attitude entraîne une prise de conscience de l’égale dignité de l’homme et de la femme. Trop souvent, dans la société, en effet, la femme est considérée comme un objet au service de l’homme. Dans les rapports réciproques, au contraire, la grandeur de la vocation féminine doit être reconnue[11].
Le Pape invite également les jeunes à un travail patient d’édification des relations, sans prétendre obtenir tout de suite, tout ce qui constitue le fruit d’une conquête continue et constante.
“Dans une société – affirme-t-il – où les slogans publicitaires répètent sans cesse les mots instantané, immédiatement, et où l’on veut avoir tout, tout de suite, notez bien qu’il faut du temps pour édifier la relation interpersonnelle du mari et de la femme, et que le test de l’amour est l’engagement durable”[12].
(À suivre)
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[1] Jean-Paul II, Durant la rencontre avec les jeunes au stade national “Amahoro” de Kigali (8 septembre 1990), in Insegnamenti, XIII/2, 539.
[2] Jean-Paul II, Célébration de la Parole avec les jeunes, en la Cathédrale de Maputo (18 septembre 1988), in Insegnamenti, XI/3, 875-876.
[3] Cf. Jean-Paul II, Parmi les jeunes musulmans, au stade de Casablanca (19 août 1985), in Insegnamenti, VIII/2, 498.
[4] Jean-Paul II, Rencontre avec la jeunesse du Nigeria, à Onitsha (13 février 1982), in Insegnamenti, V/1, 389.
[5] Cf. Jean-Paul II, Rencontre avec la jeunesse du Nigeria..., 391.
[6] Cf. Jean-Paul II, Célébration de la Parole avec les jeunes..., 878.
[7] Cf. Jean-Paul II, Dakar : aux jeunes générations sénégalaises réunies au stade municipal de “Demba Diop” (21 février 1992), in Insegnamenti, XV/1, 378-379.
[8] Jean-Paul II, Kampala : aux nouvelles générations au stade Nakivubo (6 février 1993), in Insegnamenti, XVI/1, 315.
[9] Jean-Paul II, Kampala : aux nouvelles générations..., 315-316.
[10] Jean-Paul II, Message aux jeunes de La Réunion (2 mai 1989), in Insegnamenti, XII/1, 1065.
[11] Cf. Jean-Paul II, Conakry : aux jeunes guinéens réunis sur la place située devant le Palais du Peuple (24 février 1992), in Insegnamenti, XV/1, 455.
[12] Jean-Paul II, Rose Hill : la consigne laissée aux jeunes durant la rencontre au stade (15 octobre 1989), in Insegnamenti, XII/2, 918.
17/01/2024