Imprimer

 

Plaidoyer pour le silence

 

Pourquoi la célébration eucharistique doit-elle se dérouler dans une ambiance de silence et de recueillement et ne pas être dérangée continuellement par les pleurs, les jeux ou les courses des enfants, les sonneries des portables, les cris de celui qui, à cause d’un verre de trop, n’est pas en mesure de comprendre où il se trouve et de participer avec dévotion à la célébration ?

Pour répondre à ces questions, qui peuvent paraître banales, mais qui ne le sont nullement dans la réalité de tant de paroisses, il vaut la peine de reprendre ce qu’Emilio a souligné à ce propos dans une homélie prononcée il y a quelque temps dans la paroisse d’Ypacaraí (Paraguay).

La liturgie faisait résonner les paroles de Jésus :

“Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé” (Mt 28, 19-20).

Ce passage de l’Évangile indique qu’en tant que chrétiens nous sommes appelés à annoncer à tous les hommes que le temps est arrivé de changer sa vie et d’observer les commandements de l’amour authentique que seul le Christ enseigne, car c’est lui la lumière qui dissipe les ténèbres de notre vie. Mais si cette annonce n’atteint pas les oreilles parce que les conditions d’écoute, le silence et la possibilité de se concentrer font défaut, les hommes continueront à marcher dans l’obscurité, tombant dans un abyme toujours plus profond et dans le non-sens de l’existence.

Lors des moments difficiles qui surviendront, ils ne trouveront pas de points solides de référence, car la connaissance de la parole du Seigneur n’aura pas pris racine en eux. Chaque jour, nous constatons combien nombreuses sont les personnes qui ne savent pourquoi et pour qui elles vivent.

Éduquer à la différence

Le silence est une dimension souvent absente aujourd’hui de la vie des hommes, tout comme le fait de ressentir la nécessité d’une écoute authentique de la parole de Dieu, de prendre un temps dans la journée pour être avec Lui, pour Le rencontrer “seul à seul”, pour scruter dans les profondeurs de la conscience ce que nous indique le Seigneur. La conscience est le premier de tous les vicaires du Christ (cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 1778) ; Dieu nous parle dans la conscience, mais elle doit être réveillée et formée dans ce sens.

Les enfants sont incontestablement les premiers destinataires de cette formation, qui commence justement par savoir distinguer les lieux et les temps, par comprendre qu’il y a un lieu et un temps pour chaque chose : un temps pour pleurer et un temps pour rire ; un temps pour parler et un temps pour se taire ; un temps pour dormir et un temps pour rester éveillé ; un temps pour travailler et un temps pour se reposer.

De cette manière, les enfants seront éduqués à participer à la célébration eucharistique au moment où ils pourront le faire par âge et conscience, pas avant, de peur qu’ils ne dérangent qui a le droit de se concentrer, d’écouter un discours et changer son existence. Ils comprendront ainsi dès le bas âge que l’édifice de l’église n’est pas le jardin d’enfants et que l’Église n’est pas la baby-sitter à qui l’on décharge les enfants, faute de mieux. Ils pourront comprendre la dignité et l’importance de l’église et de la communauté chrétienne qui s’y réunit.

Lorsque nous ne savons pas faire les distinctions nécessaires, et réduisons tout à une seule et même réalité, tout se délaye, se dilue, se confond et se perd.

Pour cela les chrétiens doivent être les premiers à connaître clairement la différence entre un lieu sacré, comme l’église où l’on entre conscients de cette valeur, et d’autres espaces qui ne le sont pas. Fréquenter l’église et ne pas apprendre cette distinction, car très souvent tout est permis dans l’église, sans règles et sans discipline, porte à ne pas savoir faire la différence non plus dans les autres domaines de la vie. L’école alors n’est plus le lieu où l’on étudie et l’hôpital le lieu où l’on est soigné ; la maison n’est plus le lieu où la famille se réunit et s’aime, mais elle se transforme en un hôtel où l’on entre quand on a faim ou en une banque pour demander de l’argent aux parents ; la rue devient le lieu où tout est permis, sans respect pour les autres et oubliant qu’elle est un bien publique appartenant à tous.

De la confusion des lieux on passe ensuite à celles des rôles à l’intérieur même de la famille : la femme, par exemple, n’est plus l’épouse, mais une domestique disponible à tout moment et qui n’est même pas payée de manière adéquate ; les enfants deviennent les maîtres, et les parents qui leur ont sacrifié toute la vie sont ensuite maltraités ou abandonnés dans le moment du besoin.

Pour cela les églises doivent être les lieux où surtout celui qui prêche doit enseigner à faire les justes différences et à donner à chaque chose sa valeur.

Sacré et profane

Il faut savoir faire une distinction, en effet, entre le sacré, c’est-à-dire l’espace et le temps de la manifestation de Dieu, la hiérophanie – pour utiliser la terminologie de Mircea Eliade et de ses intuitions sur l’expérience religieuse – et le profane.

Prenons l’exemple de l’édifice de l’église, “espace sacré” considéré non seulement comme le lieu où est rendu le culte à Dieu, mais comme le lieu où la divinité se révèle à l’homme, le lieu de la hiérophanie. Sans l’église il n’est plus possible d’entrer en relation avec Dieu et l’on est abandonné à la dimension profane, c’est-à-dire à cette dimension où la vie s’écoule dépourvue de sens.

Le sacré, s’il est vécu comme tel, est justement cet espace et ce temps d’où surgit une réponse de sens aussi pour le milieu profane, qui trouve dans le sacré son centre.

Il y a quelques années, le cardinal Joseph Ratzinger se demandait si, après que le voile du temple s’est déchiré et que pour nous est resté ouvert le cœur de Dieu dans le cœur transpercé du Crucifié, nous avons encore besoin de lieux et de temps sacrés. Le culte chrétien n’est-il pas une liturgie cosmique qui comprend le ciel et la terre, et le monde entier n’est-il pas son sanctuaire ? Et notre culte ne consiste-t-il pas désormais dans la sequela du Christ, dans un “sacrifice” quotidien vécu dans l’amour qui nous rend semblables à Dieu ? La réponse fut que ce sont justement l’espace et le temps sacrés qui nous rendent capables de “voir les cieux ouverts”, de reconnaître le mystère de Dieu dans le cœur transpercé du Crucifié. La célébration eucharistique nous rend participants de la liturgie céleste à travers des signes que le Rédempteur nous a indiqués comme espace de sa réalité. La liturgie introduit le temps terrestre dans le temps de Jésus-Christ et à sa présence. D’où sa “nécessité”[1].

Si les pasteurs n’enseignent donc pas la distinction claire qui existe entre l’espace sacré, dont le seuil indique l’entrée dans le lieu de la manifestation de Dieu, et l’espace profane, ils n’agissent pas en tant que prêtres du Christ. S’ils ont peur de défendre, avec la force et la fermeté de l’amour, la sacralité de la célébration, d’où descend aussi par conséquent la capacité de distinguer et de vivre tout autre lieu selon sa nature, ils trahissent l’Évangile. Dieu appelle, en effet, par sa Parole proclamée et donnée comme nourriture pendant la célébration, à une vie authentique.

C’est pour cela qu’il faut dans l’église le silence et le recueillement : cela nous permet de bien vivre, dans l’unité cosmique entre sacré et profane.

(Rédigé par Mariangela Mammi)

 

 

_____________________

[1] Cf. J. Ratzinger, El espíritu de la liturgia. Una introducción, Ediciones Cristiandad, Madrid 2002, 75.82-83.

 

 

 

08/05/2023

 

Catégorie : Approfondissements