Imprimer

 

Jean-Paul II aux jeunes du continent africain

 

L’aventure chrétienne

Située dans la sphère de l’honnêteté du langage sexuel, la chasteté devient elle aussi une aventure car “chercher, découvrir et jouir dans la vérité est une des aventures les plus émouvantes de la vie”[1].

S’adressant aux jeunes de Zambie, Jean-Paul II avait déjà mis en relief l’aspect d’aventure typique de l’engagement chrétien.220

“Jésus – affirme le Pape – vous appelle à un authentique voyage avec Lui, un voyage de la foi, qui requiert toute votre générosité, votre enthousiasme et votre courage. Ce peut être une merveilleuse aventure”[2].

Le temps de la formation est un temps de recherche des voies de la tempérance, de la prudence et de la justice, pour parvenir à l’autodiscipline et à la suprématie de l’amour dans la vie. Il s’agit de former une personnalité équilibrée, une conscience claire et honnête, d’être des personnes justes, qui inspirent confiance, des hommes et des femmes de parole et d’une authenticité à toute épreuve[3].

Dans la pensée de Jean-Paul II la formation ne se fait pas dans des milieux aseptiques, mais on grandit dans la plénitude du Christ, en continuant à relever les défis de la violence, de la discrimination raciale, du chômage, de la pauvreté et de l’injustice. Non pas en fuyant ses responsabilités sociales et en ayant peur, mais en continuant courageusement à s’interroger et à rechercher “tout ce qu’il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d’aimable, d’honorable” (Ph 4, 8). En revendiquant aussi le droit de participer aux décisions concernant son propre destin politique, social et économique[4].

La question raciale, notamment dans sa variante de conflits tribaux ou régionaux, revêt une importance toute particulière. À la lumière des événements tragiques qui ont ensanglanté le Rwanda, la question posée par les jeunes de ce pays lors de la rencontre de Kigali apparaît inéluctable pour les destinées de l’Église et de toute l’Afrique :

“Saint-Père, savez-vous que le racisme et le régionalisme font rage au Rwanda et même au sein de l’Église ? Quel rôle assignez-vous à votre Église pour se convertir et dénoncer les injustices ?”[5].

La réponse de Jean-Paul II s’enracine dans les éléments essentiels de la foi pour laquelle la condamnation du racisme et de toutes ses variantes discriminatoires est sans appel :

“Tous les êtres humains sont fils du Père et créés à son image. La paternité de Dieu est universelle et la fraternité entre les hommes est donc également universelle. Nourrir des pensées racistes, c’est contraire au message du Christ, parce que le prochain que Jésus nous demande d’aimer n’est pas seulement l’homme de mon groupe social, de ma religion ou de ma nation : le prochain, c’est tout homme rencontré sur ma route”[6].

“Paternité de Dieu signifie fraternité entre les hommes : c’est un point fort de l’universalisme chrétien, un point commun aussi avec d’autres grandes religions et un axiome de la plus haute sagesse humaine de tous les temps, celle qui a le culte de la dignité de l’homme. Le préjugé raciste qui blasphème le Créateur ne peut être combattu qu’à sa racine : le cœur de l’homme... Il s’agit donc de purifier notre regard sur les autres. C’est une entreprise qui dure toute la vie : c’est un aspect de la conversion du cœur, c’est le prix à payer pour éliminer progressivement l’esprit de clocher”[7].

Quant à l’Église, qu’il qualifie de “société arc-en-ciel”[8], Jean-Paul II rappelle que ses membres

“ne se choisissent pas les uns les autres. Ils se reçoivent comme frères et sœurs des mains de Dieu, dans la diversité de leur condition, de leur culture, de leurs goûts ou de leurs opinions. Ils se laissent introduire dans la fraternité sans frontières où le Père les convie pour leur dévoiler son dessein sur le monde”[9].

Dans ce contexte, les jeunes du Sénégal sont appelés à s’engager pour le progrès de l’humanité :

“Quelle que soit votre vocation, il importe que dès maintenant, à votre âge et là où vous êtes, vous preniez part à la marche de votre pays et du monde. Préparez-vous à y jouer un rôle en mettant au service de vos compatriotes les compétences humaines, scientifiques, techniques, professionnelles que vous êtes en train d’acquérir. On compte sur vous dans de nombreux domaines comme l’alphabétisation, la lutte contre la désertification ou encore la participation à d’autres combats : contre le vandalisme, le racisme ou l’exclusion. Fortifiez en vous les valeurs morales de droiture, de loyauté, de respect d’autrui et de don de soi. Engagez-vous personnellement et en équipe à améliorer le sort de ceux qui vous entourent. Pour cela, trouvez les gestes concrets, si simples soient-ils”[10].

Tout ceci constitue un défi que le Seigneur Jésus lance aux jeunes. Et le Pape de conclure : “Il vous demande de lui présenter vos mains et vos pieds, vos cœurs et vos esprits, de sorte qu’à travers vous il puisse libérer l’opprimé”[11].

Parlant aux jeunes du Rwanda, Jean-Paul II évoque les grandes difficultés qui empêchent leur croissance humaine et spirituelle, comme celle des jeunes Africains en général : “La pauvreté, le manque de terre, le chômage, le racisme et le régionalisme, le libertinage sexuel, les séductions des faux messies”[12].

Assumer pleinement ses responsabilités

À Nairobi, s’adressant aux jeunes du Kenya, le Pape les a appelés à prendre leurs responsabilités en libérant le terrain des solutions magiques ou parachutées de l’extérieur, sans la participation ni la contribution de la liberté de chacun :

“L’Église ne propose pas de solutions simplistes aux problèmes du monde qui vous sont bien connus et dont vous parlez. Elle ne vous propose aucune formule magique. Vous-mêmes, vous devez travailler dur et avec persévérance”[13].

C’est aux jeunes eux-mêmes que Jean-Paul II renvoie la solution des problèmes, en les engageant à une conversion profonde permettant de sortir du repli sur soi-même afin de parvenir à entrer en relation avec les autres.

Dans cette ligne, plusieurs indications doivent être prises en compte.

Sur un plan plus spécifiquement ecclésial, le Pape désigne l’expérience vécue de l’Eucharistie comme le point de départ pour que les jeunes trouvent leur place dans l’Église. Ils sont appelés à prendre une part active à la vie de la communauté et aux célébrations paroissiales dans lesquelles ils sont spontanément portés à faire entendre leur voix et leurs préoccupations de jeunes[14].

En prenant leur place dans les communautés chrétiennes, les jeunes deviendront plus responsables à travers l’animation des célébrations liturgiques, en prenant part à l’immense travail catéchétique avec les enfants, les adolescents et même les adultes, en s’insérant dans les nombreux services en faveur des plus pauvres, des analphabètes, des handicapés, des personnes isolées, des réfugiés et des migrants, en œuvrant au sein des instances de défense et de promotion de la personne humaine[15].

Jean-Paul II fait également référence à un plan socio-économique où il affirme que les meilleures solutions pour affronter la question du chômage doivent être recherchées dans les initiatives et dans la collaboration au niveau local à travers des voies concrètes et originales[16]. Il exhorte en outre à organiser des microréalisations en se regroupant et en créant de petites industries, des coopératives à mesure d’homme, en apprenant à produire mieux[17].

À ce propos, Jean-Paul II s’adresse ainsi aux jeunes de Guinée réunis à Conakry :

“Il ne me revient pas de proposer un programme. Mais je vous invite à vous préparer à vos responsabilités dans la vie sociale, bien convaincus qu’il s’agit d’une vie commune et d’un bien commun. Si chacun défend égoïstement ses intérêts, la communauté entière en souffre et la justice se perd. Si vous savez vous réunir, dans un esprit de solidarité, avec le souci de ne laisser personne sur le bord du chemin, alors vous progresserez... Ensemble, vous trouverez le courage de résister à toutes les formes de corruption ou d’exploitation qui nuisent à un grand nombre de gens. Vous apprendrez à vous associer pour des entreprises profitables à vos villages agricoles... Et vous serez prêts à prendre une part active à la vie de toute la nation”[18].

Le Pape exhorte encore les jeunes à collaborer avec les adultes et à ne pas s’isoler entre eux[19]. Il recommande également l’étude de la doctrine sociale de l’Église comme guide pour une participation correcte à la vie de leur pays en vue du bien commun[20].

S’adressant aux jeunes Malgaches, Jean-Paul II propose à nouveau le thème de l’amour privilégié envers les pauvres et de l’édification d’une société plus juste :

“Qui que vous soyez, quelles que soient vos difficultés, vous devez être intransigeants pour la défense du droit et de la justice. En commençant par vos comportements personnels, vous ne serez des chrétiens dans la société malgache que dans une solidarité juste pour le bien de tous. Refusez la violence, refusez le mépris, refusez le mensonge ou la malhonnêteté. Prenez des risques s’il le faut, mais restez fidèles à l’amour privilégié pour les pauvres et les petits, respectez la dignité de tout homme même s’il vous a déçus”[21].

À une époque et sur un continent si chargé de violence et de haine, le choix de Jean-Paul II en faveur de la non-violence est très ferme. Il défend ce choix en parlant aux jeunes du Lesotho :

“Certains pourront vous dire que le choix de la non-violence n’est rien d’autre, en définitive, qu’une acceptation passive de situations d’injustice. Ils pourront soutenir qu’il est vil de ne pas utiliser la violence contre ce qui est injuste, ou refuser de défendre avec violence les opprimés. Mais rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Il n’y a rien de passif dans la non-violence, lorsque c’est un choix dicté par l’amour. Cela n’a rien à voir avec l’indifférence... Choisir la non-violence signifie faire un choix d’amour courageux, un choix qui implique la tutelle effective des droits de l’homme et un ferme engagement en faveur de la justice et d’un développement harmonieux”[22].

À l’image des Personnes de la Trinité, le jeune est lui aussi appelé à mûrir à l’intérieur d’un processus qui ne consiste pas seulement à recevoir, mais aussi à donner. Aux jeunes de Madagascar, réunis au stade “Alarobia” d’Antananarive, Jean-Paul II rappelle que

“si tu veux tout recevoir sans donner le meilleur de toi-même, tu ne seras pas heureux... Ta personnalité ne sera mûrie que si tu brises l’individualisme qui te fait fuir les autres. Le dialogue est source de sagesse. Le partage est source de richesse. C’est dans la communauté d’études, de travail, de loisirs, de village ou de quartier que chacun prend sa vraie dimension d’homme”[23].

Le chemin du bonheur est le même que celui de l’affirmation de sa personnalité. Dans le mystère trinitaire, la personne est un être à la fois indivisible et en relation (esse ad) avec d’autres. C’est sur ce modèle que les jeunes sont appelés à construire leur personnalité, comme leur rappelle le Pape à Conakry :

“La vie est un don merveilleux. La vie d’une personne humaine est digne d’un grand respect... La personne humaine a un esprit, un cœur, un corps. Le jeune qui forme sa personnalité doit développer son esprit et son intelligence ; il doit purifier les affections qui montent dans son cœur ; il doit être attentif à la santé et à l’épanouissement de son corps. Parce que ces éléments inséparables de notre être sont notre bien le plus précieux, nous n’avons pas le droit de les avilir. Nous croyons que notre vie humaine est le don de Dieu, et même le reflet de la beauté de Dieu. Et notre privilège, c’est d’avoir une conscience et une liberté... Pour former votre personnalité, vous devez surmonter la division en vous-mêmes par une volonté droite, sans rien concéder à ce qui est faux ou indigne de l’homme. Alors, vous pourrez avancer, en accord avec vous-mêmes et la conscience en paix, vers une vie claire et pure. Très vite, vous vous rendrez compte que la clé du bonheur, c’est de faire le bonheur des autres”[24].

C’est pour cette raison que lors des rencontres avec les universitaires de Kinshasa (Zaïre), de Libreville (Gabon) et de Yaoundé (Cameroun), Jean-Paul II insiste à nouveau sur le fait que

“l’université n’a pas pour but d’abord la recherche de titres, de diplômes, ou de postes lucratifs : elle a un rôle important pour la formation de l’homme et le service du pays... L’éducation privilégiée qu’offre la communauté n’est pas donnée d’abord pour un gain personnel”[25].

Jean-Paul II met en garde contre tous les dangers de la société de consommation dont les modèles attirent les jeunes Africains. Le véritable bonheur, rappelle-t-il, concerne l’être et non l’avoir. C’est un faux Évangile de matérialisme que l’on prêche aux jeunes à grand cri et qui affirme que le bonheur dépend du fait d’avoir un nombre toujours plus important de choses matérielles et que le bien-être matériel, de quelque façon qu’on l’obtienne, est la mesure de la valeur d’une personne[26].

S’adressant aux jeunes de l’Île Maurice, le Pape constate que

“la pure accumulation des biens ne suffit pas pour réaliser le bonheur humain. Quand l’homme ne sait pas gérer la masse des ressources mises à sa disposition, en gardant des intentions moralement droites, l’abondance, même relative, se retourne facilement contre lui. Il devient esclave de la jouissance de biens matériels ; son horizon se limite à la multiplication des objets continuellement remplacés par d’autres plus perfectionnés. C’est le règne de la civilisation de consommation dans laquelle vous êtes entrés vous aussi”[27].

Il s’agit donc de “demeurer très vigilants, face aux modèles de société qui sont fondés sur la recherche égoïste du bonheur individuel et sur le dieu-argent, ou sur la lutte des classes et la violence des moyens”[28].

Emilio Grasso

(À suivre)

 

 

_____________________

[1] Jean-Paul II, Kampala : aux nouvelles générations..., 315.

[2] Jean-Paul II, Lusaka : rencontre avec les nouvelles générations zambiennes à l’“Independence Stadium” (3 mai 1989), in Insegnamenti, XII/1, 1104.

[3] Cf. Jean-Paul II, Célébration de la Parole avec les jeunes..., 879.

[4] Cf. Jean-Paul II, Kampala : aux nouvelles générations..., 317.

[5] Jean-Paul II, Durant la rencontre avec les jeunes..., 538.

[6] Jean-Paul II, Durant la rencontre avec les jeunes..., 538.

[7] Jean-Paul II, Rose Hill : la consigne laissée aux jeunes..., 914.

[8] Jean-Paul II, Rose Hill : la consigne laissée aux jeunes..., 921.

[9] Jean-Paul II, Dakar : aux jeunes générations..., 379.

[10] Jean-Paul II, Dakar : aux jeunes générations..., 382-383.

[11] Jean-Paul II, Kampala : aux nouvelles générations..., 317.

[12] Jean-Paul II, Durant la rencontre avec les jeunes..., 536.

[13] Jean-Paul II, Message aux jeunes (17 août 1985), in Insegnamenti, VIII/2, 456.

[14] Cf. Jean-Paul II, Dakar : aux jeunes générations..., 380.

[15] Cf. Jean-Paul II, Homélie de la Messe pour les étudiants à Yamoussoukro (11 mai 1980), in Insegnamenti, III/1, 1342.

[16] Cf. Jean-Paul II, Rencontre avec les jeunes au “Glamis Stadium” de Harare (11 septembre 1988), in Insegnamenti, XI/3, 694.

[17] Cf. Jean-Paul II, Durant la rencontre avec les jeunes..., 541.

[18] Jean-Paul II, Conakry : aux jeunes guinéens..., 457-458.

[19] Cf. Jean-Paul II, Parmi les jeunes musulmans..., 502.

[20] Cf. Jean-Paul II, Luanda : aux jeunes générations au “Pavilhão Principal da Cidadela” (7 juin 1992), in Insegnamenti, XV/1, 1770-1771.

[21] Jean-Paul II, Discours à Antananarive durant la rencontre de fête avec les nouvelles générations au stade municipal “Alarobia” (29 avril 1989), in Insegnamenti, XII/1, 986.

[22] Jean-Paul II, Rencontre avec les jeunes, au stade “Pitso Ground” de Maseru (15 septembre 1988), in Insegnamenti, XI/3, 781-782.

[23] Jean-Paul II, Discours à Antananarive..., 982.

[24] Jean-Paul II, Conakry : aux jeunes guinéens..., 455-456.

[25] Jean-Paul II, Aux universitaires et aux intellectuels (4 mai 1980), in Insegnamenti, III/1, 1123-1124 ; cf. Jean-Paul II, Rencontre avec les membres des professions libérales, les universitaires, les ouvriers et les jeunes du Gabon, à Libreville (18 février 1982), in Insegnamenti, V/1, 600-601 ; cf. Jean-Paul II, Rencontre avec les intellectuels et les universitaires au Palais des Congrès de Yaoundé (13 août 1985), in Insegnamenti, VIII/2, 373.

[26] Cf. Jean-Paul II, Banjul : aux nouvelles générations durant la rencontre à la “St. Augustine High School” (23 février 1992), in Insegnamenti, XV/1, 429.

[27] Jean-Paul II, Rose Hill : la consigne laissée aux jeunes..., 919-920.

[28] Jean-Paul II, Homélie de la Messe pour les étudiants...,1340.

 

 

 

23/01/2024

 

Catégorie : Articles