Aux fidèles de la paroisse Sagrado Corazón de Jesús d’Ypacaraí (Paraguay)

 

Mes chers amis,

De nombreux lecteurs attentifs m’ont écrit pour me signaler qu’ils ont trouvé, certains pour la première fois dans leur vie, l’affirmation qu’il ne faut jamais oublier que Marie, comme l’Église, n’est pas seulement Mère. Elle est aussi fille, la plus petite d’entre nous tous, et, comme pour la plus petite, la vie de Marie et la vie de l’Église dépendent de chacun d’entre nous.Homilia 45 12 12 2020 1 Par conséquent, “ne demande pas ce que Marie et l’Église peuvent faire pour toi, mais bien ce que tu peux faire pour Elles”.

Pour moi, et je l’ai répété à maintes reprises, il est dommage que dans notre prédication nous parlions de tant de choses qui ne nous appartiennent pas en tant que pasteurs du peuple de Dieu, et que nous oubliions le fondement des vérités centrales de notre foi, qui devraient imprégner toute l’annonce de l’Évangile que nous sommes appelés à proclamer et, en même temps, toute notre activité pastorale.

Chez la grande majorité de ceux qui se professent chrétiens, dans le fonds la vision de Dieu est restée la même, à savoir celle d’un Dieu qui fait tout, tandis que l’homme ne fait rien. Cela nie complètement la vérité fondamentale de notre foi : l’Incarnation. La grâce est importante, et sans elle nous ne pouvons rien faire, cependant il n’y a pas que la grâce de Dieu, mais aussi la liberté de l’homme.

Sans la grâce, l’homme ne peut rien faire, pas même l’acte de foi. Mais sans la liberté de l’homme, qui accueille cette grâce, Dieu non plus ne peut faire quoi que ce soit pour le sauver.

“Dieu, qui t’a créé sans toi, ne te sauvera pas sans toi”, répétait saint Augustin, en soulignant le grand rôle que joue la liberté de l’homme dans l’œuvre de son salut, que Dieu accomplit.

Par conséquent, il est nécessaire de lutter contre une vision miraculeuse qui attend tout d’en haut ou des autres. Noël, c’est Dieu qui s’est fait homme, mais pour que l’homme devienne Dieu.

Il ne faut jamais oublier l’affirmation fondamentale contenue dans le Catéchisme de l’Église Catholique :

“Le Verbe s’est fait chair pour nous rendre ‘participants de la nature divine’ : ‘Car – comme l’écrit saint Irénée de Lyon – telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu’” (n. 460).

Nous devons avoir le courage et l’humilité de reconnaître que, bien souvent, on rencontre des personnes qui, tout en étant nées et ayant été éduquées en dehors de l’Église institutionnelle, ont compris, vécu et témoigné jusqu’à la mort le noyau central de la vie de Dieu.

Ce noyau consiste à devenir comme Jésus, le Fils unique du Père, qui, étant riche, s’est fait pauvre pour que nous devenions riches par sa pauvreté (cf. 2Co 8, 9).Homilia 45 12 12 2020 3

Notre mentalité, au contraire, est d’approcher Dieu, Jésus, la Vierge Marie, les Anges et les Saints pour demander quelque chose, pour négocier une grâce quelconque.

Dieu et le cortège qui l’accompagne devraient toujours être prêts à répondre à nos demandes. Ensuite, si tout se passe selon nos souhaits, nous passerons à la caisse et paierons le prix que nous avons fixé nous-mêmes.

Parmi les grands témoins de notre temps de la capacité de donner à Dieu de notre pauvreté et de voir Dieu lui-même non pas comme le plus riche d’entre les riches, mais comme le pauvre qui est à la porte de notre maison, le pauvre qui demande notre aide et nous appelle, il y a sans aucun doute Etty Hillesum.

Etty Hillesum, une jeune juive néerlandaise, aimait lire les Confessions de saint Augustin et possédait la Bible complète, Ancien et Nouveau Testament. Elle nous aide à comprendre encore mieux le mystère chrétien d’un Dieu qui offre son Fils qui se fait homme et qui meurt sur la croix pour le salut des hommes.

Le 7 septembre 1943, Etty Hillesum fut déportée à Auschwitz – le camp de concentration et d’extermination de l’Allemagne nazie – où elle mourut le 30 novembre 1943. Benoît XVI, en rappelant à tous que “la grâce de Dieu est à l’œuvre et accomplit des merveilles dans la vie d’un grand nombre de personnes”, a dit d’elle :

“Initialement éloignée de Dieu, dans sa vie dispersée et inquiète, Etty Hillesum retrouve Dieu au beau milieu de la grande tragédie du XXe siècle, la Shoah. Cette jeune fille fragile et insatisfaite, transfigurée par la foi, se transforme en une femme pleine d’amour et de paix intérieure, capable d’affirmer : ‘Je vis constamment en intimité avec Dieu’”.

En préparation à la solennité de Noël, à la Nuit de Noël dans laquelle Dieu nous enrichit de sa pauvreté, je vous confie cette page du journal d’Etty Hillesum, écrite alors qu’elle était en route vers la mort simplement parce qu’elle était juive, et la Grande Bête Satanique de l’idéologie nazie ne pouvait pas accepter que le sang du juif Jésus fût encore présent dans le monde du Troisième Reich.Etty Hillesum diario 2fra

Écoutons ceci, qui est l’une des pages les plus profondes de la spiritualité et du mysticisme du XXe siècle :

“Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entraînement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous”.

Etty Hillesum nous enseigne la véritable croissance qui accompagne ceux qui aiment Dieu, “pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité” (1Jn 3, 18). Etty Hillesum nous apprend à aimer Dieu comme le Fils aime le Père et fait sa volonté, coûte que coûte, et à ne pas réduire Dieu à une épaule sur laquelle pleurer, comme si nous étions toujours la petite fille de quelques mois qui ne sait pas se détacher du mamelon de sa mère.

Et que la bénédiction du Dieu tout-puissant,
le Père, le Fils et le Saint-Esprit,
descende sur vous et demeure toujours avec vous.
Amen.

 

 Emilio firmaP. Emilio Grasso

 

(Traduit de l’espagnol par Michele Chiappo)

 

 

07/01/2021